L'ENVOL DU BOURDON
Par Jean-François Dutertre, publié sur sa page Facebook le 20 novembre 2010
Le lundi 15 décembre 1969, dans une ruelle aujourd’hui disparue du quartier de Montparnasse appelée l’Impasse d’Odessa, le Café de la gare, un nouveau lieu de spectacle créé par Romain Bouteille et son équipe, était exceptionnellement ouvert. Comme on le sait, le lundi est le jour habituel de relâche des théâtres et les spectateurs qui se pressaient ce soir-là n’étaient pas venus pour goûter aux joies alors nouvelles du café-théâtre. Une équipe anxieuse avait installé une table à l’entrée et distribuait des cartes d’adhésion bricolées avec des fiches bristol. On y retrouvait une petite bande dont les membres s’étaient, pour la plupart, rencontrés au Hootenanny que Lionel Rocheman organisait le mardi soir au Centre américain du boulevard Raspail. Ils venaient de divers horizons et l’on notait parmi eux, quelques amis de collège qui hantaient la MJC de la Porte Brancion dans le XVe arrondissement. Cette MJC avait déjà accueilli leurs concerts au programme improvisé et des soirées happenings les avaient vus se mélanger avec les prestations de groupes de rock et des récitations de poésie. Ils avaient même réussi à convaincre le directeur de cette MJC d’organiser un concert en plein air qui avait rassemblé plus de 500 personnes au théâtre de verdure du square Saint-Lambert. Ces musiciens gravitaient en partie autour de l’autorité tutélaire et bienveillante de John Wright et Catherine Perrier et partageaient la même passion pour la chanson traditionnelle. Il y avait à la fois des solistes et des groupes : John et Catherine, bien sûr, mais aussi Dominique Maroutian, Christian Leroi-Grouhan, Jean-Pierre Morieux, Les Escholiers (l’ancêtre de Mélusine avec Ben, Jean-Loup Baly et Jean-François Dutertre), mais tous se regroupaient périodiquement sur scène au sein de l’Indicible Folk, le groupe prototype de ce qui allait devenir les musiciens du Bourdon.
En août 1969, une partie d’entre eux s’étaient rendu au Québec, dans le cadre d’un projet avec l’Office franco-québécois pour la jeunesse, avec l’espoir de rencontrer des chanteurs et des musiciens traditionnels. Cette équipée à laquelle avaient participé entre autres Les Escholiers, Claude Lefebvre, Claude Besson et Emmanuelle Parrenin, rencontrée à cette occasion au Centre américain, avait encore plus soudé ces musiciens autour de la volonté de créer un lieu commun. Mais, l’organisateur avait dû ajouter des participants pour atteindre le quota nécessaire à l’acceptation du projet. La petite équipe avait eu donc eu la surprise de voir quelques membres d’un groupe folklorique de Bourges se joindre au voyage et parmi eux un certain Jean Blanchard qui découvrit à l’occasion le folk avec les répercussions que l’on connaît.
Vers l’indépendance
Sans renier l’importance du rendez-vous de Rocheman et des longues soirées de discussions et de musique au Raspail vert, le café où se retrouvaient jusque tard dans la nuit, tous les musiciens après le Hootenanny, ils aspiraient à créer leur propre soirée régulière dédiée au folk, ce nouveau courant musical né dans la mouvance des mouvements américains et britanniques. Les discussions avaient été âpres pour déterminer la forme qui convenait à leur rêve. John Wright et Catherine Perrier avaient longuement décrit le développement du mouvement en Grande-Bretagne et tout particulièrement le mode d’organisation des folk-clubs. Ce modèle s’était vite imposé mais il fallait l’adapter au contexte français. Il fallait agréger autour du projet un maximum de musiciens qui deviendraient ainsi les « musiciens résidents » du club et participeraient à son animation régulière — et cela bénévolement car le projet ne bénéficiait d’aucun autre financement que les propres deniers de ses créateurs et les éventuelles recettes. Il fallait ensuite trouver les moyens de permettre à ce regroupement d’organiser les soirées. Or, il se trouvait que j’avais animé pendant plusieurs années l’un des principaux ciné-clubs du XVe arrondissement et que j’avais ainsi connaissance du fonctionnement des associations loi 1901. J’eus beaucoup de mal à convaincre les autres de la nécessité de fonder une association si nous voulions gérer des recettes et louer une salle. Il faut se représenter les réticences que pouvaient soulever parmi une bande de jeunes gens formés par l’expérience de mai 68, l’idée d’une déclaration à la préfecture de police… John Wright proposa d’appeler ce folk-club Le Bourdon et c’est lui aussi d’ailleurs qui dessina quelque temps après l’espèce de mouche-vielle à roue qui devint l’emblème du club. Finalement la structure fut créée et des statuts rédigés : la première association du mouvement folk voyait le jour.
On comptait au titre des membres fondateurs : Catherine Perrier, John Wright, Jean-Pierre Morieux, Jean-Loup Baly, Jean-François Dutertre, Jacques Ben Haïm (dit Ben), Christian Leroi-Gourhan, Jean-Claude Haineman (dit Emmanuel), Claude Roussel, Jean-Pierre Chavannaz, Claude Besson, Christian Becquet, Philippe Fromont, Trân Quang Haï, Marie-Hélène Sardina, Youra Marcus, Gabriel Yacoub, Steve Waring, Roger Mason, Alan Stivell, Emmanuelle Parrenin, Claude Lefebvre, Martine Habib et Dominique Maroutian. Catherine Perrier en était la présidente. Les président changeront au fil des années : Jean-Pierre Chevais succèdera à Catherine Perrier puis ce sera au tour de Jean-François Lacourt d’endosser cette responsabilité.
La première séance
Ensuite, il avait fallu trouver un lieu dans Paris : quête difficile pour une jeune association dépourvue de toutes ressources. La chance avait joué en faveur de ce dénuement. Romain Bouteille et sa jeune équipe de comédiens parmi lesquelles figuraient Miou-Miou, Patrick Dewaere et Coluche, venaient d’ouvrir à Paris une petite salle de spectacles et lançaient le concept de café-théâtre. Ils avaient demandé le concours de John Wright, Roger Mason et Steve Waring pour assurer quelques intermèdes et sketchs musicaux dans leur spectacle. Les débuts étaient difficiles et Bouteille accepta, sur la demande de ces musiciens, de louer sa petite salle le soir de relâche. Nous acceptâmes la gageure en nous apprêtant à payer de notre poche le déficit probable qui résulterait de ces soirées. Le prix de la carte de membre fut arrêté à 3 F et la participation aux frais pour chaque séance à 2 F.
Le lieu étant trouvé, une date fut fixée pour la première soirée et nous nous mîmes à en parler à toutes nos connaissances. Un tract fut tiré et distribué un peu partout, notamment au Centre américain. Fidèle au modèle britannique, les musiciens fondateurs du Bourdon devaient prendre en charge le programme musical et interpréter chacun deux ou trois chansons. D’autres musiciens, proches de l’équipe initiale, furent contactés et acceptèrent de venir jouer. Le programme serait bâti le soir même, de façon impromptue et en fonction des musiciens présents. Le principe retenu fut donc celui d’une forme de « scène ouverte », principe en partie hérité de la conduite des hootnannies de Rocheman. Il devait présider pour longtemps au fonctionnement du Bourdon. Ce ne fut qu’au cours des mois suivants que l’idée de construire certaines soirées autour d’un invité s’imposa — invité qu’il fut possible de rémunérer grâce au succès de la formule. Ce changement n’empêchait pas de conserver le système de la programmation improvisée pour le reste de la soirée. Ce fut René Zosso qui eut l’honneur de l’inaugurer. On vit entre autres, cette année-là, Donatien Laurent présenter les sœurs Goadec, en présence d’Alan Stivell qui les accompagna sur une chanson, Djamchid Chemirani et son zarb, Trân Van Khé et ses multiples instruments vietnamiens, Pierre Fénélus et ses percussions. Comme on le voit, l’éventail musical était large et Le Bourdon loin d’être une chapelle dédiée au culte de la musique traditionnelle française. Par la suite, outre les « résidents », des dizaines d’invités firent les beaux soirs du club.
Le soir fatidique arriva enfin. Jean-Pierre Morieux, qui officiait avec Jacques Ben Haïm, plus connu sous le nom de Ben, au sein du groupe de folk américain The Philarmonic Back Country Folk Group, avait confectionné deux panneaux que nous accrochâmes à l’entrée de l’impasse d’Odessa et à la vitrine du Café de la Gare. À notre grande surprise, il vint beaucoup de monde et le cahier des adhérents se couvrit de noms et d’adresses. Il vint en tout près d’une centaine de personnes ce soir-là. Nous avions largement de quoi payer la location de la salle pour cette première séance. Catherine Perrier à qui avait été confié le soin de confectionner le programme passait de groupe en groupe et ordonnait les ordres de passage en les consignant sur un petit bout de papier. Enfin quand tout le monde se fut installé sur les étranges gradins de ce premier Café de la Gare, la soirée put commencer. Ce fut Bill Deraime qui ouvrit le programme et débuta cette aventure qui devait durer plus de quinze ans. Alan Stivell clotura la soirée durant laquelle tous les membres fondateurs du club eurent l’occasion de jouer ou de chanter.
Les débuts de l’errance parisienne
Par la suite, les relations avec l’équipe de Romain Bouteille se tendirent. Les comédiens souhaitèrent récupérer la jouissance de la salle le lundi soir pour répéter. Nous dûmes nous résoudre à chercher un autre lieu et le Bourdon connut alors cette existence nomade qui ne devait se stabiliser un moment que plusieurs années plus tard grâce à l’installation au Petit théâtre de la Cité universitaire. Nous trouvâmes une cave au 20 rue de la Sourdière, dans le quartier de l’Opéra, qui appartenait à la paroisse Saint-Roch et nous nous y installâmes à partir du 17 février 1970. Nous étions les seuls à l’occuper et nous pûmes investir en moquette pour adoucir le contact avec le sol disjoint et froid de la cave car nous n’avions que quelques tabourets de plastique. Nous n’avions aucune contrainte horaire et les soirées de la rue de la Sourdière se prolongèrent souvent très tard dans la nuit. Les premiers « ateliers » instrumentaux firent leur apparition.
Lors d’une de ces soirées, un petit tract fut affiché sur une paroi de la cave. On y apprenait que quelques fondateurs du Bourdon appartenant à la « mouvance américaine », notamment Gabriel Yacoub, Phil Fromont, Youra Marcus, Claude Lefebvre et Bill Deraime venaient de créer Place Fürstenberg, avec d’autres musiciens un nouveau folk-club, le Traditionnal Mountain Sound que l’on appela très vite, plus simplement, le TMS. Ils souhaitaient ouvrir un lieu consacré aux musiques traditionnelles américaines alors que le Bourdon apparaissait comme plutôt orienté vers les musiques du domaine français. Ils prirent toutefois modèle sur l’organisation de ce dernier. On a parfois parlé de rivalités, il faut plutôt parler de différences et, par ailleurs, les mêmes musiciens se produisaient régulièrement dans les deux clubs.
Le Bourdon sort de l’ombre
C’est au festival de Lambesc, en août 1970, que Le Bourdon sortit de la semi clandestinité dans laquelle il avait évolué jusque là. Ses musiciens résidents furent programmés ensemble lors de ce premier grand rassemblement du mouvement folk organisé par Folk Song International, une association créée par Pierre Toussaint. L’Indicible Folk y connut le succès. Le public et la presse découvrirent alors que les chansons et la musique traditionnelles françaises pouvaient offrir une image renouvelée à même de rivaliser avec les musiques folk américaines ou britanniques. Cette même année, toute l’équipe du Bourdon s’envola vers le Québec pour une campagne de collecte, essentiellement dans les comtés au sud-est de Québec, avec une pointe vers celui de Charlevoix-Ouest. Le résultat de cette enquête donna lieu, plus tard, à la publication du volume 7 de l’Anthologie de la musique traditionnelle française au Chant du Monde sous le titre Chansons et musiques traditionnelles du Québec (LDX 74759).
Puis le club émigra vers le nord de Paris et s’installa au 14 rue du Moulin-Joly dans le XIe. Ce fut à cette époque que les « ateliers » du Bourdon prirent vraiment leur essor. Désormais, aux rituelles séances du lundi s’ajoutèrent systématiquement des ateliers d’enseignement où les animateurs du Bourdon initiaient le public aux instruments traditionnels. Trois jours par semaine, le violon, l’épinette et le dulcimer, la vielle à roue mais aussi la danse firent l’objet de ces divers ateliers. Catherine Perrier débordant d’initiatives, on mit aussi en place, un mardi par mois, un « folk ciné club » pour projeter des films sur les musiques et les traditions populaires. Les Acadiens de la dispersion, les films de Deben Battacharya ou encore La Geste paysanne de Pierre Gurgaud furent au programme de ces séances. Enfin, pour rendre accessible les sources de la musique pratiquée, les bases d’une phonothèque furent jetées afin de permettre la consultation des enregistrements de collectages. A la fin de 1971, à l’appel de René Zosso qui travaillait dans un centre culturel privé, l’ERA, le Bourdon vint séjourner à Genève. C’est une horde hirsute que Zosso vit débarquer. Il avait prévu une douzaine de musiciens : il se retrouva avec près de trente personnes. Pourtant, c’est précisément cette image d’un milieu exubérant et luxuriant, partageant et vivant la même musique qui va fasciner le public suisse, et d’une manière générale le public de cette époque Les concerts que le Bourdon donnera à Genève cette année-là seront les plus innovants de son histoire dans leur forme musicale. Tous les musiciens étaient ensemble sur la scène, juchés sur des praticables couverts d’instruments. Il n’y avait pas de programme déterminé car le concert fonctionnait sur le principe de libre enchaînement des jam-sessions de jazz. La musique était puisée à toutes les sources : chansons traditionnelles françaises, musique cajun, old time, musique irlandaise, folk américain… Le public entourant les musiciens était invité à intervenir dans la musique. Aucun concert ne ressemblait au précédent. J’ai eu l’occasion d’en décrire plus en détails les principes dans un article précédent (« Folk, sexe et politique », Trad Magazine n° 110, Novembre-Décembre 2006).
Le Bourdon n’est plus seul
Malgré le succès, la situation financière restait difficile. Pour la saison 1971-1972, le Bourdon déménagea une nouvelle fois pour rejoindre le quartier latin au 15 rue Gay-Lussac. Les responsables durent se résoudre à augmenter la cotisation annuelle qui passa à 10 F. En réalité, le club survivait grâce au bénévolat de ses animateurs. L’errance du Bourdon se poursuivra et après un séjour rue de la Banque, le club finira par se stabiliser pour un long moment Boulevard Jourdan dans une salle du Théâtre de la Cité universitaire. Il y disposera d’une salle adjacente pour ses ateliers. Pendant ce temps, le contexte évoluait. Des étudiants, rassemblés autour de Jean Blanchard ouvrirent en 1972 un club à Lyon et, pour faire pendant au Bourdon, le baptisèrent La Chanterelle. Avec les premières tournées organisées par Pierre Toussaint et les stages qui commencèrent à apparaître, la forme musicale et les modes d’organisation initiés par Le Bourdon se répandirent très vite. Un troisième folk-club, La Vieille Herbe, vit le jour à Paris à l’initiative de Jean-Jacques Faugère et de musiciens comme Pierre Kerhervé et Jean-Marie Redon. Il se voulait rassembleur de tous les courants musicaux, sans exclusive. Il sera aussi le creuset de l’équipe de la revue Gigue.
Le tournant du Festival de Vesdun
L’été 1971, Folk-Song International avait réitéré l’expérience de Lambesc et rassemblé 12.000 personnes à Malataverne. Pourtant, les musiciens du Bourdon n’étaient pas satisfaits. Ils avaient le sentiment que la musique traditionnelle qu’ils aimaient n’avait pas vraiment la place qui lui revenait. Ils considéraient que ce genre de manifestation ne pouvait se réduire à d’interminables concerts. Fort de ses 600 adhérents et de ses musiciens résidents, Le Bourdon décida de se lancer dans l’organisation de son propre festival. La préparation de ce projet prit de longs mois. Grâce à Roger Péarron, les animateurs du club prirent contact avec le maire d’un petit village du Berry, Vesdun, et réussirent à le convaincre d’accueillir leur festival. Le Festival de Vesdun qui se tint en août 1972 prit le sous-titre de « Premier festival de musique traditionnelle », manière provocatrice de se démarquer des festivals de Lambesc et de Malataverne. Vesdun fut co-organisé par Le Bourdon et La Chanterelle et vit se succéder sur la scène des musiciens flamands (Hubert Boone et un groupe archétype de Rum), le violoneux irlandais Ted Furey, les anglais du groupe High Level Ranters, la chanteuse écossaise Ray Fisher, André Dubois, Roger Péarron, René Zosso, le Grand Mère Funibus Folk, la première apparition publique de Louise Reichert, John Wright et Catherine Perrier, bien sûr, et bien d’autres encore. Le festival s’inspirait des modèles britanniques et proposait des ateliers où les musiciens initiaient le public à la pratique de leurs instruments. Bien que n’ayant rassemblé qu’un millier de personnes, les organisateurs avaient montré que l’on pouvait créer un événement dédié uniquement aux musiques traditionnelles.
Le club émigra rue de la Banque dans un local minuscule où les séances débordaient sur le trottoir les soirs de succès. Le label alternatif Expression Spontanée qui avait publié les disques de Lambesc et Malataverne édita, à l’initiative de Folk-Song International, un disque collectif du Bourdon sous le titre Musique populaire d’expression française (Expression Spontanée n°7) dont les enregistrements provenaient des soirées de la rue de la Banque, mais aussi de Vesdun et de divers concerts et stages. C’est en quelque sorte le manifeste musical du Bourdon. Il sera rapidement suivi de celui consacré au festival de Vesdun, édité directement par Le Bourdon et La Chanterelle et dont la réalisation fut coordonnée par Jean-Loup Baly.
Le festival de Pons et la fin de la première époque du Bourdon
En juillet 1973, Le Bourdon organisa un deuxième festival à Pons, un petit village de l’Aveyron, proche de l’endroit où vivait Louise Reichert. Mais, cette fois-ci, ce fut l’équipe de la revue Gigue, nouvellement créée, qui appuya Le Bourdon dans l’organisation. On peut considérer que le festival de Pons marque l’apogée et la fin d’une époque. Le temps de la construction militante du mouvement s’achève. Les musiciens, les réseaux, la presse, bientôt l’édition phonographique (John Wright et Tran Quang Haï venaient de publier chacun un album dans Spécial instrumental, la nouvelle collection de Chant du Monde), se mettent en place pour une période faste qui prendra fin au début des années 80. Certains des groupes musicaux qui vont marquer la deuxième époque du mouvement folk comme La Bamboche ou Mélusine firent leurs premières armes à Pons. Mais surtout, Le Bourdon avait tenu à marquer la diffusion du mouvement à travers la France en invitant des musiciens des autres folk-clubs, car la Chanterelle n’était plus une exception lyonnaise. Des clubs s’étaient ouverts dans toutes les grandes villes. C’était le cas, par exemple, du Rigodon à Grenoble, à l’initiative de Patrick Mazelier, de La Courtepaille des frères Cazade et Cadeillan et de Marc Robine à Bordeaux.
A partir de cette époque, les folk-clubs vont pulluler. Une rubrique « La vie des folk-clubs » annonce dans chaque numéro de Gigue la naissance d’un nouveau club. La même revue dans l’éditorial de son numéro 6, paru au milieu de l’année 1974, fait état de plus de 70 folk-clubs recensés. L’autre revue née quelques temps après Gigue, L’Escargot fera de même et publiera un annuaire des folk-clubs. Cette floraison offre une véritable alternative de diffusion aux circuits officiels et permet l’extension du mouvement et l’organisation de tournées. Les folk-clubs s’appuient en grande partie sur l’implantation des MJC alors puissantes. L’ensemble des réseaux socio-culturels et toute la mouvance de l’éducation populaire vont apporter leur soutien au mouvement des folk-clubs et des musiciens qui en sont issue. Un réseau de diffusion et d’enseignement, porté par le secteur associatif, va mailler le territoire et s’étendre au-delà des frontières vers la Belgique et la Suisse. En réalité, le mouvement qui se développe en France n’est pas propre à ce pays. La vague partie des USA dans le contexte des luttes politiques touche désormais toute l’Europe.
Un mouvement résolument autonome
Le mouvement des folk-clubs est caractérisé par sa volontaire délibérée d’autonomie. Le seul soutien provient des lieux d’accueil : municipalités, MJC et équipements culturels. On ne recherche ni la subvention ni la reconnaissance institutionnelle. Le mouvement revendique cette indépendance et s’organise tant bien que mal pour l’assumer. Il sera en grande partie à l’origine du développement du secteur associatif des musiques traditionnelles. Mais il ne sera pas le seul. Il convergera avec d’autres courants consacrés aux traditions populaires, dans le sud-ouest, en Bretagne et en Poitou par exemple. A la fin des années 70, il s’essouffle. Les années qui suivront verront un renversement total de tendance avec le choix de l’institutionnalisation manifestée par la création des centres de musiques traditionnelles et l’intervention de l’État et des collectivités territoriales dans le soutien au secteur.
Après un long temps passé à la Cité Internationale du boulevard Jourdan, le Bourdon se déplacera en 1981 au nord de Paris, au Centre d’animation Mathis dans le XIXe, puis trouvera asile en 1983 à La Tanière, un petit lieu dédié à la chanson. La formule étrennée plus de dix ans plus tôt n’avait pas changé : un concert le lundi soir et des ateliers d’instruments et de danse dans divers autre lieux de Paris. Le club organisera en plus de ce programme des bals et des stages. Jamais Le Bourdon n’aura pu vraiment disposer de son propre local ni même parvenir à demeurer longtemps au même endroit, exception faite du long séjour à la Cité Internationale, mais il aura réussi, malgré cette errance, à poursuivre ses activités durant plus de quinze années. L’association existe toujours. Élevé au rang de mythe par certains, vilipendé par d’autres, il n’aura jamais laissé indifférent et aura marqué profondément le paysage des musiques traditionnelles.
Jean-François DUTERTRE